Réflexions

Vénus du site Carbouérien réalisée par Nathalie Bonnet
Vénus du site Carbouérien réalisée par Nathalie Bonnet

LE MYTHE DE L’ÉMERGENCE , LE PLUS ANCIEN DES MYTHES  ENCORE CÉLÉBRÉ DANS CERTAINES CULTURES. UNE ORIGINE CULTUELLE QUI SE TRANSMET ET SE PERPÉTUE…

Si la femme paraît très souvent mise en exergue par les artistes de la préhistoire, c’est qu’elle est associée à la naissance de la VIE si précieuse à cette époque. Les lieux où figurent des formes faisant allusion à cette féminité sont parfois sombres et profonds comme les entrailles de cette terre-mère porteuse de la vie. Sur certaines parois de grotte on retrouve des attributs féminins et plus particulièrement la vulve représentée de manière très simplifiée. De plus, à l’entrée de nombreuses grottes, nous pouvons aussi remarquer des traces d’ocre rouge faisant référence au sang menstruel. La vie émergerait-elle du sous-sol souterrain ?

Des récits rapportés par des civilisations dites primitives laissent à penser que les premiers hommes imaginaient et représentaient ce fameux mythe de l’émergence sur les parois des grottes.

En effet, simplifions et généralisons une des visions possibles de l’origine, et prenons l’exemple des Indiens qui penseraient que le monde recouvert de la nature minérale et végétale fut ensuite habité par les animaux, suivis par les hommes venus des profondeurs terrestres. D’après les écrits de Lucien Sebag (Tunis, 1934 – Paris, 1965), anthropologue français et chargé de recherche au CNRS, les Indiens pueblos du village Acoma au Nouveau Mexique établiraient une triple relation étroite et indépendante entre l’homme, la nature et le divin. Au commencement, deux êtres féminins dans un lieu obscur, c’est-à-dire le monde souterrain, auraient été guidés par un esprit Divin et aidés par certains animaux et un arbre pour sortir des profondeurs et émerger sur la surface de notre terre. L’esprit demanda aux jeunes femmes de planter une graine qui leur avait été offerte et placée dans un panier par celui-ci. Cette graine aurait donné naissance à un Pin qui brisa l’écorce terrestre, mais l’espace percé n’aurait pas été suffisamment large pour que les deux êtres passent dans l’autre monde, celui de la lumière. C’est à ce moment que rentrerait en jeu l’image d’un blaireau laissée dans le même panier. Les deux jeunes femmes auraient demandé à l’image de devenir réelle. Le blaireau aurait été chargé de grimper sur le pin et d’élargir le trou. Puis une sauterelle aurait été créée afin de polir cette cavité en la plâtrant. Ainsi chacun d’eux aurait eu un rôle bien défini à accomplir pour que la vie sur Terre soit envisageable. Certes, il s’agit là d’une belle histoire pleine de poésie, en revanche elle nous montre combien la nature végétale et animale doit vivre en harmonie avec l’homme pour que celui-ci subsiste. Les premiers hommes ont certainement ressenti cette évidence et auraient tenté de pérenniser cette union en créant dans le lieu mythologique de leurs origines. Ils seraient redescendus sous terre pour immortaliser ce qu’ils voyaient sur celle-ci, mais pas uniquement si l’on se réfère à ce fameux mythe. La grotte matrice de toute vie, en symboliserait la naissance. Ainsi les peintres à l’ouvrage dans cet espace devaient être accompagnés d’un GENUIS LOCI. Le Genius-Loci est une locution latine qui signifie Esprit du lieu et qui s’avère souvent inhérente au domaine de l’architecture, or la grotte a sans doute été considérée comme une architecture naturelle par les premiers hommes. Ils n’étaient pas encore de grands bâtisseurs au point d’être capables d’élever de très grandes constructions, en revanche ils ont su tirer parti de ces lieux, autrement dit de ces sanctuaires, crées par la nature, au pouvoir magnétique et à teneur certainement spirituelle. De fait, en contemplant les œuvres peintes dans les galeries souterraines, nous pouvons imaginer que les animaux auraient émergé de l’autre monde situé derrière la paroi, ils se seraient matérialisés en projetant leurs ombres au moment de ce franchissement, de cette traversée, sur la surface en matière calcaire de cet univers ténébreux. Les hommes ont figé cet instant magique au moyen de leur pigment et de leur savoir-faire. Ces figures ne sont d’ailleurs pas immobiles, mais en perpétuel mouvement, en vie.

Que pouvaient signifier l’art des grottes?

L’art, comme le miroir, est-il le moyen de voir ce que nous ne voyons pas ? » Jean Darré
Les fresques pariétales nous montrent ce que nous n’avons jamais vécu, ni vu réellement, à part dans notre imaginaire ou dans nos rêves. Peut-on, pour autant les ranger sur l’étagère de l’art ?
En effet, aucun élément ne nous permet d’affirmer haut et fort qu’il s’agissait pour les homo-sapiens, d’une forme d’art. Certes la qualité surprenante de la représentation du bestiaire de cette époque, n’est d’aucune manière incontestable. Il paraît plus probable que ces « oeuvres » revêtaient un caractère sacré. Toutes les créations qui suivirent jusqu’à peu près la Renaissance, furent avant tout liées à la religion. Nous pourrions plutôt parler d’un art de vivre qui animent l’homme très attaché à ses croyances qui l’aident à avancer dans sa propre vie, avec les autres et dans le temps.
Par conséquent, la grotte de Lascaux serait-elle un sanctuaire, un lieu de culte ?

Peinture corporelle et tatouages, hier et aujourd’hui:

A l’âge paléolithique, un lien très fort entre la peinture corporelle, le rituel et le sacré devait exister. Cela fait quelques mois que je me questionne sur l’usage des pigments et notamment sur le corps des premiers hommes. Certaines sépultures découvertes attestent de la présence de ce pigment rouge. On peut imaginer que cette couleur symbolisait déjà l’énergie, le sang, la vie. Elle aurait peut-être été utilisée pour redonner un aspect plus vivant aux morts et leur permettre de prolonger leur existence dans l’autre monde.

Il se trouve que dans de nombreuses civilisations primitives, la peinture corporelle et le tatouage ont une signification symbolique et s’insèrent dans des rites initiatiques (religieux, guerriers, sociaux, politiques…). Si l’on se réfère plus particulièrement à l’origine du mot tatouage, on comprend mieux en quoi transformer son corps prend du sens. En effet tatouage vient tahitien « Ta-atouas » qui signifie « Ta » : « dessiner » et « atua », « esprit, dieu ». Ainsi s’instaure un rapport direct entre le corps et d’espace du divin. Marquer, modifier son corps est encore, aujourd’hui une pratique perpétuée (tatouage, peinture, maquillage, percing, implantation…).

Est-ce un effet de mode ?

Je ne suis pas certaine. Il s’agit sûrement d’une volonté et d’un besoin au plus profond de nous, de manifester dans et sur notre corps notre séparation de la nature. Ritualiser son corps, hier et aujourd’hui, est un moyen d’élever son âme vers un ailleurs. On peut apparenter ce type de pratique à une quête de spiritualité, grâce à cette prothèse corporelle qu’est le signe imprimé sur le corps. En cela, nous sommes différents de l’animal, même si une part de celui-ci sommeille en chacun de nous.

De nombreux artistes contemporains ont eu ce questionnement sur le corps et le sacré au travers de leurs performances et peintures corporelles ou autres manipulations.

EXTRAIT DU FASCICULE DE PRÉSENTATION DE MA CONFÉRENCE EN COURS D’ÉCRITURE.

Présentation du travail de recherche sur quelques correspondances entre l’art de l’Homme de Cro-Magnon et des époques plus récentes et en particulier très proches de la nôtre.

Ce document peut être lu en complément de mes conférences afin d’approfondir quelques détails et s’adresse aux passionnés, aux curieux et aux novices.

C’est seulement un an après ce travail de recherches, sur l’art de la préhistoire et d’aujourd’hui, d’une manière théorique, pratique et plastique, que je me décide à écrire un condensé facilement accessible.

L’art, comme le miroir, est-il le moyen de voir ce que nous ne voyons pas ? » Jean Darré

Les fresques pariétales nous montrent ce que nous n’avons jamais vécu, ni vu réellement, à part dans notre imaginaire ou dans nos rêves. Peut-on, pour autant les ranger sur l’étagère de l’art ?
En effet, aucun élément ne nous permet d’affirmer haut et fort qu’il s’agissait pour les homo-sapiens, d’une forme d’art. Certes la qualité surprenante de la représentation du bestiaire de cette époque, n’est d’aucune manière incontestable. Il paraît plus probable que ces « œuvres » revêtaient un caractère sacré. Toutes les créations qui suivirent jusqu’à peu près la Renaissance, furent avant tout liées à la religion. Nous pourrions aussi parler d’un art de vivre qui anime l’homme très attaché à ses croyances qui l’aident à avancer dans sa propre vie, avec les autres et dans le temps.
Par conséquent, les grottes ornées seraient-elles des sanctuaires, des lieux de culte ?

Nous n’avons encore, aucune réponse catégorique à ce sujet. Les chercheurs, les paléontologues et les préhistoriens ne font que de simples suppositions invérifiables. Toute fois en se fiant à certaines civilisations primitives existantes aujourd’hui, on parvient plus facilement à comprendre le sens de leur art très souvent en lien avec leur rite et leur façon d’appréhender la vie. De plus, l’art n’est pas uniquement présent sur les parois des grottes mais dans la nature et à l’extérieur visible de tous. On retrouve des traces d’une expression artistique dans des abris sous-roche que l’on différencie de l’art pariétal correspondant à celui des grottes par un autre terme, l’art rupestre. Certains entassements de pierre posent aussi question. Leur forme semble s’apparenter à celle d’un foyer, pourtant aucune trace de feu n’a été retrouvée au centre. Par contre, des restes de coquillages ou d’amulettes sculptées s’y trouvaient parfois, et notamment des Vénus Stéatopyges, au fessier particulièrement proéminent, qui auraient pu servir de pendentif. Plusieurs avis se recoupent en ce qui concerne la symbolique de cette représentation hypersexuée de la femme. De toute évidence, porter ce genre d’objet autour du coup assurait fécondité et fertilité. Par conséquent, l’art du paléolithique jouait un rôle évident dans la vie des homo-sapiens de cette période lointaine.

En premier lieu, il paraît essentiel de fonder une partie de l’analyse sur liens entre l’art d’aujourd’hui et l’art de la préhistoire en s’intéressant tout particulièrement aux représentations situées dans les grottes car ce lieu participe au mystère de ces œuvres difficilement interprétables. Ces représentations laissent parfois le spectateur très libre dans sa lecture au point qu’il est tout à fait en droit d’en donner une signification très éloignée de celles qui sont généralement proposées par les préhistoriens.

La grotte artificielle ou naturelle, est considérée depuis le Moyen âge, comme étant un lieu à la fois idéal et terrifiant.

De toute évidence les Homo Sapiens devaient en avoir cette perception.

Quelle soit artificielle ou naturelle, l’intérêt pour le promeneur réside dans l’effet de surprise par sa rencontre. En effet, bien souvent la grotte est cachée sous une végétation luxuriante. La découverte de ce lieu protégé et secret, ainsi que le fait d’oser s’y aventurer n’est pas anodin. C’est comme si nous entrions dans l’univers intérieur de nos propres phantasmes. On peut très facilement faire une comparaison de ce lieu avec le corps de la femme, son ventre et son vagin. D’ailleurs, des traces d’ocre rouge se font souvent voir en son entrée, symbolisant possiblement le sang menstruel et féminin. De fait, pénétrer les entrailles de la terre revêt un caractère sacré, mais aussi profane, au point d’avoir l’impression de souiller cette portion de l’espace sous-terrain ou de commettre un viol. Pourtant, lorsqu’on entre dans la grotte artificielle de Bernardo Buontalenti de 1593, du jardin Boboli au Palais Pitti à Florence, nous expérimentons une sorte d’initiation à l’amour dans une perspective platonisante. Cette grotte est divisée en trois espaces, dans lesquels sont signifiés un état différent de l’Amour. Ces trois étapes qui débutent par la terreur incarnée par les sculptures de Pietro Tommaso, en passant par la violence du désir charnel signifiée par le couple sculpté celui de Pâris ravissant Hélène réalisé par Vincenzo de Rossi, pour finir par l’incarnation de la beauté idéale et parfaite grâce à la statue Giambologna «Jardin de Vénus », ne correspondraient-elles pas à certains rites initiatiques possiblement pratiqués dans les nombreuses salles de la grotte de Lascaux face aux fresques éclairées par une faible lumière mouvante, dansante et quelque peu magique ? 
Le mystère reste entier. 
La salle dite aux taureaux de Lascaux, offre au spectateur une sorte de parade amoureuse entre les animaux représentés, de la manière la plus idéale qu’il soit. Ils pourraient symboliser la vie de ces hommes et femmes de la préhistoire cherchant à perpétuer leur espèce. Ce désir, cette volonté se lit sur les différentes parois de cette grotte. Comme dans la fausse caverne du jardin de Boboli, on ressent en fonction des zones et du parcours, la terreur notamment dans le puits, la violence du désir charnel dans la représentation des animaux se faisant parfois face ou s’interpénétrant et enfin cette fameuse beauté idéale incarnée par la plasticité des gravures de certaines parois et la qualité picturale de l’ensemble.
Ainsi traverser les différentes salles d’une grotte mènerait à une forme de connaissance de soi et du monde qui nous entoure. Le bestiaire figuré donne aussi un indice sur les croyances des premiers hommes. Certes, ils peignaient ce qu’ils voyaient, c’est-à-dire un monde peuplé essentiellement d’animaux, mais pas uniquement. D’un point de vue symbolique et plastique, on sent qu’il pourrait s’agir d’illustrations de plusieurs histoires ou mythes que devaient se raconter les premiers hommes. En effet, lorsque nous sommes vraiment attentifs au style graphique et pictural de l’ensemble des grottes ornées, nous remarquons des similitudes. Des signes et des façons de représenter certains animaux semblent assez proches. Les premiers hommes écrivaient des histoires que nous avons du mal à comprendre aujourd’hui car le contexte social et culturel a évolué et quelque peu changé. Pourtant, nous demeurons encore fascinés aujourd’hui par ces traces énigmatiques. Lorsque nous rapprochons certaines œuvres du début du XXème siècle et notamment Guernica 1937 de Pablo Picasso avec des représentations figurant sur les grottes de Lascaux, on sent un lien évident dans cette manière simple et épurée de donner forme. Les superpositions de lignes et de figures ainsi qu’une conception de l’espace sans réelle perspective sont issues d’une syntaxe cubiste, néanmoins toutes ces particularités nous renvoient aussi au vocabulaire primal de la préhistoire. Picasso sans le savoir réitère ce que les premiers hommes ont commencé par créer. Une innovation axée sur l’origine de l’expression, en continuité en art moderne. A l’époque dite paléolithique, des animaux tels que les chevaux, les taureaux ou les aurochs se retrouvent incontestablement sur toutes les parois, ces animaux sont des symboles forts. Dans la culture espagnole, ils le sont aussi. Ils sont liés essentiellement à la tauromachie. On peut aussi établir un lien avec la mythologie grecque et égyptienne. Finalement des mythes très éloignés finissent par se mélanger au sein d’une même peinture. Essayons de tisser cette toile en recoupant les éléments culturels, historiques et mythologiques pour comprendre le sens de cet héritage paléolithique au cœur de Guernica…